1992 -TOUR D’ITALIE AVEC SAC A DOS

14 Juillet 1992 : D’ASSISI À SPELLO ET FOLIGNO
Il y a trois ans, j’ai suivi un cours d’italien. J’avais l’intention de mettre en pratique les connaissances linguistiques acquises l’été suivant en Italie. Mais j’ai dû renoncer devant la Coupe du monde de football de 1990. Aujourd’hui, ça y est enfin : je vais parcourir Bella Italia en six semaines, avec mon sac à dos, en train, en bus, en stop, en bateau et à pied. Je suis allée de Paris à PERUGIA en train, puis une connaissance m’a gentiment conduite jusqu’à ASSISI.

Les deux premières heures sont cruelles ! La matinée avait pourtant si bien commencé. Je me réveille peu avant sept heures dans l’auberge de jeunesse flambant neuve d’ASSISI, au son du tintement des cloches. Elles ne proviennent pas d’une des innombrables églises, mais d’un troupeau de moutons paissant pratiquement sous nos fenêtres.
Je descends donc ma petite échelle laquée rouge et ouvre la fenêtre en grand. Ah ! La journée va être magnifique ici ! Pas comme à Paris où il va certainement pleuvoir des cordes, comme à chaque fête nationale.
Allez, hop, à la douche et en route pour le petit-déjeuner. Tout est d’une propreté clinique. La collazione est cependant frugal : une tasse de thé, deux tranches de pain, un tout petit morceau de beurre et une petite boîte de confiture.

Comme d’habitude, cela m’agace. Où est passé le temps où, dans une AJ, on mettait un pain, une plaquette de beurre et un pot de confiture au milieu d’une table de huit ? À 8 heures, je dépose mes draps et je reçois en contrepartie ma carte d’identité et un reçu de 16.000 lires (soit 80 francs, soit 25 marks). Une minute plus tard, je me retrouve dans la rue qui monte vers Assisi, en respirant profondément. C’est parti !

La panique coutumière de ces derniers jours de préparation et les remarques de mes amis résonnent encore une fois en moi :

Ce que tu vas faire est complètement fou !
Tu as sûrement déjà oublié tout ton italien.
Pourquoi ne pas suivre d’abord un autre cours ?
Et puis de nouveau toute seule ! Et si tu te fais agresser ?

Et ainsi de suite.
Tout cela est maintenant oublié et le sac pèse de manière familière. Toutefois, pour le bien de mon dos, je n’ai cette fois que dix kilos dans le sac. Mes jambes démarrent au quart de tour. L’auberge de jeunesse se trouve un peu en dehors d’Assisi, que j’ai visité hier soir sous les derniers rayons de soleil. D’après la carte, je dois d’abord monter à travers une oliveraie jusqu’à la route goudronnée.

Puis je dois me diriger vers la Porta Cappuccini, non loin du restaurant où j’ai mangé hier ce magnifique lapin en sauce aux douze herbes. Hélas, je dois y prendre une route départementale, et j’essaye d’ignorer courageusement les camions qui me dépassent et les klaxons des mobylettes.

Ce n’est que cinquante minutes plus tard que j’arrive aux portes de la ville, d’où doit partir le sentier de randonnée qui mène à Spello via le Monte Subasio. Ah, il y a le panneau « Eremo delle Carceri« . C’est vrai, je dois passer devant cet ermitage. Mais apparemment, ma carte n’est pas aussi précise que je l’espérais, car je ne vois aucun signe rouge et blanc d’un chemin de grande randonnée.

En soupirant, regrettant mon bon guide de randonnée français, je continue à suivre cette fichue départementale, en clignant des yeux contre le soleil, en profitant de l’ombre de chaque arbre, car il fait déjà très chaud. Il me faut plus d’une heure pour arriver, énervée et en sueur, devant le monastère.

Bien sûr, je n’ai pas le droit d’y entrer, vu que je suis en short et en t-shirt. Cela me convient parfaitement ce matin, car j’ai déjà vu quelques églises en Toscane et je suis sûre que le reste de l’Italie n’en manquera pas non plus. Aujourd’hui, j’avais bien l’intention de faire une randonnée, mais pas sur une route goudronnée…

Après avoir bredouillé ce que je voulais (certainement avec au moins dix fautes en huit mots) l’homme à l’accueil m’assure galamment que je parle parfaitement l’italien, mais qu’il ne peut m’indiquer qu’approximativement la direction dans laquelle se trouve le chemin de randonnée « Cinquante ». Il n’a d’ailleurs pas l’air d’avoir quitté son poste autrement qu’en voiture.

Un dernier coup d’œil sur la ville déjà en contrebas et je pars courageusement.

Au moins, la direction qu’il m’a indiquée est la bonne, car cinq minutes plus tard, je quitte enfin la route et tout devient alors très simple. Les bandes rouges et blanches m’indiquent le chemin de randonnée à travers une magnifique forêt mixte jusqu’à des prairies fleuries couvertes de papillons et jusqu’au Rifugio di Vallonica. Cela ne dure que vingt minutes et le chemin est magnifique !

Arrivée en haut, je suis récompensée par une vue splendide sur la vallée et la ville d’Assise ! Le chant des alouettes me dédommage de l’armée de mouches qui se jette sur moi avec force, car je suis apparemment la seule vache disponible dans les environs. J’essaie de les convaincre de se consacrer au troupeau qui broute plus haut, mais en vain. Je suis tellement occupée à me battre contre ces bestioles, qu’une demi-heure plus tard, je n’ai pas perdu la direction — mais le chemin de randonnée et je dois faire demi-tour en jurant comme un charretier.

C’est toujours la même chose ! Cela m’arrive à chaque fois le premier jour de randonnée et je l’oublie d’une année à l’autre. C’est idiot ! Une fois que je m’en suis rendue compte, ma mauvaise humeur s’est déjà dissipée. Peu de temps après, je retrouve la fraîcheur de la Fontana Bregno et, tout près d’elle, les signes rouges et blancs du GR 50.

À partir de maintenant, je ne fais que descendre, en passant devant des genêts en fleurs, des buissons de genévriers et une forêt de chênes jusqu’à SPELLO. Il est presque 14 heures et je dois faire une sieste sous un arbre, car il fait terriblement chaud et ces presque six heures de marche « au pied levé » étaient quand-même un peu trop pour le premier jour.

Après un petit pique-nique et une heure de sommeil, je me retrouve peu avant quatre heures, la mine la plus déconfite possible et la carte ouverte, le sac à dos au pied, sur la route à proximité de Spello. Effectivement, ça marche : une Landrover s’arrête et l’un des deux Italiens me demande ce qui se passe. Je lui dis que j’aurais tellement voulu découvrir le village de Collepino, que mon « Guide du routard » français indique comme particulièrement joli. Mais après six heures de marche, je suis tout simplement trop fatiguée pour parcourir encore 5 kilomètres. Il se concerte brièvement avec son compagnon et me dit que leur voiture est un véhicule officiel. Ils se rendent effectivement au travail dans la direction de Collepino, mais ne peuvent malheureusement pas m’emmener. « Mi dispiace – je suis désolé. » Et moi donc ! La déception de mon visage en dit long, car il se laisse attendrir et m’ouvre la porte.

Pendant le trajet, qui ne dure que quelques minutes, je comprends que les deux hommes sont des physio-botanistes, c’est-à-dire qu’ils répertorient les plantes qui poussent en Italie. Ils sont tous deux originaires d’Ombrie et me vantent les immenses oliveraies. Lorsque je marmonne quelque chose à propos de l’Olio Sasso, l’huile d’olive de mon enfance, les deux s’exclament à l’unisson « questo é meglio – mais celle-ci est meilleure » ! Apparemment, le patriotisme local fleurit aussi dans ce pays.

Arrivée à COLLEPINO, je laisse mon sac à dos sur la terrasse du seul bar du village avec son magnifique escalier fleuri, sous la surveillance de trois Japonais, et je vais voir le petit patelin. Il est à peine arrangé pour être « joli » mais très authentique et nous, les quatre étrangers, sommes les seuls touristes, à l’exception d’une famille italienne.
Les Japonais s’avèrent d’ailleurs être des Coréens et m’amènent à SPELLO. Les hommes tentent d’engager la conversation, la femme se tient en retrait, après qu’il se soit avéré que nous avons le même métier. MAIS elle est une cantante lirica, c’est-à-dire une chanteuse classique (à savoir « sérieuse »), comme elle le souligne d’un air hautain.

Après avoir fait le tour de la ville romantique de Spello, je reprends mon souffle en m’installant sur un banc de la place principale bordée de marronniers. Je pose mon sac à dos et contemple la vie locale : le policier qui flirte avec les vendeuses du magasin de souvenirs et qui parvient en même temps à contrôler la circulation et à donner des informations aux touristes. Des vieillards qui somnolent paisiblement au soleil de l’après-midi, un enfant qui piaille après un gelato… c’est typiquement italien, c’est magnifique !

Une heure plus tard, je plonge dans la cohue et le bruit de FOLIGNO, où je dois faire des courses après avoir laissé mes affaires dans le dortoir de l’auberge de jeunesse, installée dans un ancien monastère. Chaque année, j’oublie à nouveau la lampe de poche, c’est devenu une tradition. J’ai aussi besoin d’urgence d’une crème contre les piqûres de moustiques qui me démangent.
Entre 7 et 8 heures du soir, toutes les petites villes italiennes sont sur pied pour faire la « passegiata« , la traditionnelle promenade du soir, surtout en ce qui concerne les jeunes : « Ci vediamo – On se voit »
Je me sens complètement détachée de tout ça, à la fois sage et sereine – ou peut-être suis-je tout simplement trop fatiguée pour réagir aux regards et aux appels ??

Quoi qu’il en soit, je me retrouve au lit à 22 heures après une pizza et salade gargantuesque et un quart de vin. Malgré les 21 Américaines avec lesquelles j’ai le triste privilège de partager le dortoir, j’aimerais dormir. Mais elles veulent partir en boîte. Depuis mon lit, j’observe alors le défilé de mode de ces girls gigantesques. Leur accoutrement va de la robe indienne en soie, en passant par les micro-shorts et les chemises flower-power, jusqu’au chapeau de paille géant – tous les styles sont représentés. Je ris sous cap.

La douche du matin s’avère ici aussi vétuste que l’ensemble du bâtiment, dans la cour duquel un beau cloître orné de fresques mène une existence morne. Je me contente donc d’une toilette de chat et abandonne le thé tiède dans un gobelet en carton pour aller m’acheter des fruits au marché. On en trouve ici en quantité et en diversité.

Mais en Italie, le système est assez déconcertant : certains prix sont affichés au kilo, d’autres à la livre (mezzo kilo), d’autres encore seulement pour cent grammes (l’etto). Le marchand de fruits me fait confiance et je trouve ça très agréable ! En effet, je n’ai plus assez d’argent et la banque n’ouvre qu’à huit heures et demie. « Fa niente – ce n’est pas grave », dit-il tranquillement, je peux prendre les fruits et revenir plus tard pour les payer. Ce que je fais. Aucun commerçant parisien n’aurait autant confiance en une étrangère.

DE FOLIGNO À BARI

Plus tard, dans le train, un jeune médecin assis à côté de moi me dit que é cosi in Italia – rien ne va vite ici. Un TGV comme en France n’existe que sur la ligne principale vers Rome. C’est malheureusement vrai : pour parcourir les quelque 250 km qui séparent Foligno de ASCOLI PICENO, où m’attend la prochaine auberge de jeunesse, il me faudra presque toute la journée !


Mais qu’importe. Le trajet à travers l’UMBRIA est magnifique et varié. Des champs de blé jaune-brun, déjà moissonnés, alternent avec du maïs et du tabac verts, interrompus de manière pittoresque par d’immenses champs de tournesols. Sur de nombreuses collines, on aperçoit de petits villages dans lesquels le monde du plastique n’a visiblement pas encore pénétré. En tout cas, c’est l’impression que l’on a de loin.

Certains préjugés sont malheureusement vrais. Je dois le constater le lendemain, où je « freine » plusieurs fois dans la voiture de Heike en retenant mon souffle. Elle m’a proposé une place dans sa voiture hier soir à l’AJ. Dans le sud, les Italiens roulent vraiment sans se soucier d’une quelconque ligne blanche continue ou des véhicules qui arrivent en sens inverse. Les STOP ou autres panneaux de signalisation ne servent qu’à décorer les alentours. La voiture d’un touriste est d’abord ‘klaxonnée’, qu’elle soit en tort ou non.

Malheureusement, la jeune femme – qui se rend à Jérusalem via la Grèce pour y étudier pendant un an – se laisse contaminer par la frénésie qui règne à partir de Foggia. Je lui dis que nous avons tout le temps nécessaire et que j’aimerais arriver vivante à BARI. Pourtant, le trajet a été très agréable jusqu’à présent au point de vue des paysages. Mais le trafic sur la SS16 est très dense à cause des nombreux camions qui, comme nous, veulent économiser les frais d’autoroute

À notre gauche se trouve la mer Adriatique, à droite les contreforts des Abruzzes qui s’avancent plus ou moins près de la route et que j’observe ainsi de loin. Jusqu’à la hauteur de TERMOLI, le paysage est très varié. Ensuite, il devient morne dans la plaine. Ce n’est que lorsque TRANI est en vue que mon intérêt se réveille à nouveau, car l’image de la ville est radicalement différente, même de loin.

Au lieu des maisons ocre ou brun ambré, on trouve ici des constructions en forme cuboïde d’un blanc aveuglant, plutôt comme en Grèce ou en Afrique. Une impression qui ne fera que s’accentuer en fin d’après-midi dans la citta veccia de BARI. Après 400 kilomètres, Heike m’a gentiment déposé à l’auberge de jeunesse de Bari-Palese, non loin de l’aéroport.

Pendant que je prends une douche, je me rends compte que j’ai atterri dans un foyer pour personnes légèrement déficientes mentales. Je trouve cela assez étrange, d’autant plus que le directeur – un jeune homme de 35 ans – le nie farouchement ! Il affirme que les gens sont tout à fait normaux et en vacances ici. Il me donne une clé pour la chambre de huit lits dans laquelle je serai seule, ce qui est tout à fait inhabituel.

Dans mon guide, la vieille ville de Bari est considérée comme l’une des plus intéressantes mais aussi des plus dangereuses de toute l’Italie en termes de vol. Je m’habille en conséquence : malgré la chaleur, un pantalon long avec des poches, un sweat-shirt informe, des lunettes. Juste un porte-monnaie, le petit appareil photo et la carte d’identité dans la poche et la main dessus. Pas de bijoux, rien qui puisse attirer les scipatori, les pickpockets.

Je me faufile jusqu’à la BASILICA SAN NICOLA, certainement l’une des plus belles qu’il m’ait été donné de voir. L’encens se mêle à l’odeur de lys qui s’échappe des énormes bouquets qui ornent l’autel. Dans la crypte, une petite fille et sa grand-mère m’émeuvent. Elles restent dans un silence religieux devant la tombe du « vrai » Saint Nicolas, celui qui a sauvé trois enfants du boucher (sic!) et les a ramenés à la vie.

En revanche, je trouve la cathédrale avec son plafond à poutres sombres beaucoup moins belle et je préfère faire le tour de la « medina« , qui pourrait presque aussi bien se trouver à Casablanca ou à Tunis. Tout est comme sur les cartes postales : le linge qui pend, les gens qui bavardent sur les chaises devant la porte et les jeunes hommes sur les mobylettes qui m’observent à la dérobée et détournent rapidement le regard quand je les regarde dans les yeux.

Partout, les vieux me rendent mon salut avec gentillesse et j’ai l’impression que ces gens en ont tout simplement assez d’être pris en photo, mais qu’ils se décrispent immédiatement lorsqu’on les traite normalement et poliment comme des êtres humains.

Il n’y a pas un seul café sur la place des marchands, la piazza mercantile, car on y travaille. Même chose dans la partie moderne, bruyante et surpeuplée de la ville, que je visite également. Hélas, ici, je suis beaucoup plus importunée par des casanovas en herbe que dans la vieille ville si décriée !

Malgré tout, il est agréable de se laisser porter et de bavarder avec les chauffeurs de bus, auprès desquels je me renseigne sur la manière dont je peux regagner la banlieue de Palese le soir. Ensuite, j’assiste au théâtre de rue devant l’université dans le parc et je mange plus tard dans un restaurant en sous-sol indiqué dans mon guide, bon et bon marché à la fois.

Je suis très satisfaite de ma visite dans cette ville et du fait que je n’ai pas à payer le bus pour rentrer à l’auberge de jeunesse. Le chauffeur me dit en effet :


Le voyage est gratuit pour les étudiants de moins de 30 ans


Peut-on être plus galant ? Heureuses Italiennes !

Le lendemain matin, furieuse, j’ai envie d’aller me plaindre à la direction de cette AJ ! En effet, j’ai été réveillée à 4h30 du matin par un tintamarre d’assiettes. Là, c’est vraiment trop. Pour une fois que j’ai une chambre pour moi toute seule, je suis à nouveau dérangée par du bruit. Heureusement, je me rendors pour deux heures. Ensuite, je suis à nouveau réveillée par le bavardage bruyant de deux hommes.

Au petit-déjeuner, dans la salle à manger attenante à ma chambre, j’apprends d’un homme qui distribue des médicaments (!) et du café qu’il était « de garde » la nuit dernière. Plus tard, dans le bureau du directeur où je paie, je verrai aussi l’écran qui surveille les couloirs. Je peux maintenant deviner la suite.

Cet homme s’ennuyait tout simplement à quatre heures et demie du matin et voulait, par désœuvrement, « avancer » la mise en place en jetant les assiettes et les couverts sur la table du petit-déjeuner, car le bruit ne s’explique pas autrement. Je me demande à parler au directeur – qui n’apparaît pas – et je comprends maintenant pourquoi cette auberge de jeunesse est si vide en pleine saison. Ce genre de choses se sait vite – c’est un véritable scandale.

Mais il y a aussi le bon côté de l’affaire. Je peux ainsi prendre le premier train et, à 10 heures du matin, j’arrive déjà à OSTUNI, la ville qui se trouve au milieu du « talon de la botte ». On l’appelle la città bianca, la ville blanche. Elle est construite sur trois collines a l’air plus grecque qu’une ville de Grèce.

Le soleil fait tellement ressortir le blanc des maisons que j’ai mal aux yeux malgré mes lunettes de soleil. Je me promène dans la petite ville et profite de la vue magnifique sur la plaine plantée d’oliviers jusqu’à la mer. Ensuite, je m’achète des fruits dans un petit magasin.

C’est là que je me fais avoir pour la première fois, car je n’ai pas fait attention au début. Lorsque je sors du magasin et que je fais demi-tour, car la somme me semble trop élevée, la femme rejette la faute sur son mari qui a « mal compris », et je récupère bien 1000 lires. Mais je suis convaincu qu’ils ont fait une bonne affaire. Désormais, je ferai attention !

Cette petite mésaventure est vite compensée par la gentillesse du chauffeur de bus avec lequel je me rends à MARTINA FRANCA. Il m’offre une cigarette après avoir déposé les deux autres passagers quasiment devant leur porte, ce qui nous laisse le bus pour nous seuls. Il s’arrête spécialement pour moi à une source pour que je puisse boire et me rafraîchir, car il fait à nouveau chaud et humide. C’est vraiment adorable.

Il me confirme aussi ce que je pressentais déjà, à savoir que toute cette région du sud de l’Italie, l‘APULIE, n’est pas pauvre du tout. La terre rouge de la plaine est lourde et riche, elle produit des olives, du vin et des fruits. Les trullis, ces drôles de maisons en pierre avec des toits en forme de casquette, font venir les touristes. Mais ces derniers sont rares cette année en raison de la hausse des prix en Italie.

A ALBEROBELLO, pratiquement toute la famille se précipite sur moi, car je suis leur premier hôte de la journée. Le fils de la maison m’installe dans leur plus belle chambre avec terrasse ! Très agréable avec un grand lit, une télévision, une salle de bain et des toilettes pour 19.000 lires (soit 180 francs ou 55 marks) – mais sans petit-déjeuner. La grande fille nettoie encore une fois la douche spécialement pour moi et m’apporte du savon en poudre pour que je puisse laver mes affaires. Le papa regrette que je ne puisse prendre une douche chaude qu’à partir de 18 heures. Mais je dois comprendre « c’é automatico« … La maman espère que je mangerai chez eux le soir.

Malheureusement, cette cena, le dîner, s’avère être un véritable échec, car il est banal et cher. Mais même un guide touristique a le droit de se tromper. Après m’être installée confortablement dans mon grand lit et avoir regardé quelques minutes à la télévision les assistantes blondes des présentateurs TV, toutes dotées de cheveux longs et de poitrines généreuses, je préfère de loin me tourner vers le plaisir de la prose de Heinrich Mann.

Aussi jolie que soit cette zona monumentale dei Trulli, les innombrables et horribles boutiques de souvenirs m’insupportent. Je préfère de loin les maisons mal entretenues des environs, que j’aperçois par la fenêtre du petit train qui m’emmène à TARANTO. Certains toits de pierre grise sont ornés de taches blanches, d’autres de signes cabalistiques. J’apprécie d’être seul dans le wagon par cette chaleur. Ainsi, à l’abri de toute observation désobligeante, je peux passer la tête par la fenêtre (formellement interdit !), me rafraîchir et me réjouir comme un enfant de faire ce qui est défendu.

Lorsque je m’approche de la cabine du conducteur un peu plus tard, le chef de train me fait immédiatement entrer gentiment et me permet de voyager avec lui pour le reste du voyage. Je comprends maintenant très bien que tant de garçons veuillent devenir conducteur de train, car on voit tout simplement mieux le paysage depuis cette fenêtre panoramique !

Là encore, le « grand et fort Italien » s’occupe galamment de la petite Parisienne fragile à ses yeux et fait en sorte qu’elle prenne le bon bus pour SALERNO. Cette ligne de bus est appelée la linea brutissima, la pire ligne d’Italie. Je l’ai choisie exprès parce que je vois ainsi quelque chose de nouveau pour moi, le paysage de la BASILICATA.


Celui-ci se déploie de manière pittoresque, plié comme une vieille peau de crocodile, tout le long de la route qui mène à POTENZA. C’est une région très sèche et sablonneuse et seul le Fiume BASENTO est visible de temps en temps, car nous roulons à proximité de son lit. Peu avant Potenza, l’imposant PASSO CROCE DELLO SCRIVANO dresse dans l’air bleu ses pics et ses crochets de plus de mille mètres de haut.

Ensuite, nous nous dirigeons vers le GOLF DE SALERNO. Je me réjouis de toutes ces perspectives entre deux chaînes de montagnes. A droite, derrière PIVERO, on devine la VIA APPIA et, à gauche, des montagnes de plus en plus hautes de la CALABRIA se profilent à l’horizon. Notre chauffeur de bus conduit remarquablement bien et est ponctuel à la minute près à la stazione BATTAPAGLIA. Tout le monde prend le train pour NAPOLI et à 20h30 je suis devant l’AJ de SALERNO.
Là, surprise : en plus des 15.000 lires pour le lit, la douche et le petit déjeuner, on me demande de payer 1000 lires par drap et 500 lires pour la taie d’oreiller ! Je refuse catégoriquement, je m’énerve et je prouve carrément avec le manuel des AJ en main que la location des draps est obligatoire partout. On NE PEUT PAS du tout entrer dans son sac de couchage sans draps.

Après avoir menacé de me plaindre auprès de la direction, les beaux yeux bleus du jeune homme à la réception s’agrandissent encore plus qu’ils ne le sont déjà, et il me dit en bon allemand :

Sie sind sehr böse, ja ? – Vous êtes très fâchée, hein ?

Il me fait rire et nous nous quittons finalement en amis. Non seulement il me donne les draps gratuitement, mais il veut aussi me déduire le petit déjeuner, car je souhaite repartir demain matin à 8 heures avec le bus. Or, le dimanche, la « collazione » n’a lieu qu’à 8h30.

Il me donne en plus un bon conseil pour un restaurant, où j’ai droit à un succulent dîner pour seulement 11.000 lires (55 FR, 17 DM). Il se compose de minestrone, de pesce misti, c’est-à-dire de poissons variés avec de la salade, du vin et de l’eau minérale. Le vin blanc et le rosé en carafe, donc le vino locale, sont d’ailleurs partout très corrects et pétillent un peu.

Quelle transition élégante : En effet, l’eau jaillissant de la fontaine devant le temple de Neptune à PAESTUM pétille également et l’édifice est particulièrement beau et bien conservé. « Ventum est iucundum » a été ma première phrase en latin : le vent est agréable. Je peux tout à fait comprendre les Romains qui se sont emparés de ce magnifique endroit, car la légère brise maintient ici la chaleur dans des limites supportables.

C’était, hélas, bien pire ce matin, à l’arrêt du bus, que nous avons dû attendre pendant pas moins de 45 minutes. La circulation est terrible un dimanche matin de juillet sur la route côtière entre Naples, Salerne et Paestum. Tout le monde se rend à la mer avec enfants et bagages. En revanche, le site même des temples, d’une superficie d’environ quinze kilomètres carrés, est quasiment vide, une centaine de personnes tout au plus se promènent entre les lauriers et les rosiers en fleurs. Quelques jeunes gens en toge feraient bien l’affaire dans le décor juste là…

Mais même dans le très moderne et agréable musée d’à côté, le seul bel homme présent, qui plonge dans l’eau de la mort, a tout de même déjà 2500 ans 🙂 Je suis émue de cet aperçu de la Grèce antique, ces peintures funéraires, découvertes seulement en 1968, me plaisent beaucoup, car elles sont sobres dans leur forme et leur couleur.

Comme mon bus ne part que dans une heure et demie pour retourner à Salerne, j’essaie, pour le fun, de faire du stop. Pas de chance un dimanche midi ! Il y a vraiment beaucoup d’hommes seuls sur la route (la signora prépare bien entendu le pranzo à la maison), alors, on oublie. Les couples, eux, veulent aller à la plage ou être seuls. Mais mon SAUVEUR approche sous la forme d’un chauffeur de bus rempli de —nonnes ! Bénies soient-elles, adorables, rigolotes et très intéressées par mon périple, je les remercie comme il se doit !

À deux heures et demie, je suis de retour à la gare de Salerne, où j’avais déposé mon sac à dos le matin, et comme mon bateau doit également partir à 14h30 dans le port non loin de là, je traverse la place de la gare au pas de charge malgré la chaleur torride. J’aurais pu m’en passer ! Le Metro del mare, qui s’appelle en plus malencontreusement « uragano – ouragan », a lui aussi 45 minutes de retard !

DE SALERNO À SORRENTO ET CAPRI

Mais cette contrariété est vite oubliée, car commence alors la plus belle partie de mon voyage jusque-là. En contournant le cap de Sorrente, des noms aussi connus qu’AMALFI, POSITANO et SORRENTO deviennent enfin une réalité tangible. Somnolente et paresseuse, la brume de l’après-midi s’est posée sur les vignes vertes des vignobles et même les bougainvilliers mauves qui grimpent le long des maisons blanches semblent d’une nuance plus atténuée. Le bateau s’arrête presque à chaque port, deux fois au milieu des baigneurs, directement sur la plage.

Je ne me lasse pas du paysage, de l’écume blanche, des bateaux qui passent à toute allure et de l’horizon bleu prometteur, là où la mer et le ciel se réunissent. Je comprends enfin pourquoi beaucoup de gens partent ici en lune de miel (et je garde ça en tête). J’espère que l’AJ de SORRENTO est si bien que je peux y rester quelques jours.


Oh oui, elle l’est ! Même si malheureusement il n’y a que deux douches pour 65 femmes et qu’il faut faire la queue pour avoir de l’eau chaude. Ou alors, il fait se doucher à des heures impossibles, quand il n’y a personne. Pour une fois, le grand dortoir est bien aéré et les fenêtres donnent sur des vignes. D’ailleurs, elle est aussi moins chère que ce qui est indiqué dans mon guide, seulement 12.000 lires au lieu de 15.000, petit déjeuner en plus.

Hier soir, j’ai flâné dans la ville, j’ai vu le soleil se coucher dans la mer et le Vésuve émerger de la brume. SORRENTO est truffée de magasins élégants, ouverts même le dimanche soir, et le public y est bien meilleur que ce que je n’ai vu jusqu’à présent. La splendeur d’antan n’a donc pas encore totalement disparu. Par habitude, j’ai visité l’une des nombreuses églises. Celle-ci est pleine à craquer, même à huit heures et demie du soir. Joliment illuminée par des lampes à boules comme sur une promenade thermale, elle est remplie de plantes vertes et d’énormes bouquets de lys. L’ensemble est extrêmement accueillant et je sors sur la pointe des pieds pour ne pas déranger.

A l’instant, je viens de manger deux délicieuses figues de CAPRI. Je suis assise tout en haut, à trois cents mètres au-dessus de la mer, près de la Villa Jovis que l’empereur Tibère a placée ici. L’homme savait ce qu’il faisait, car depuis la seconde plus haute montagne de CAPRI, située à la pointe nord-est, on a une vue magnifique sur la péninsule de Sorrente, le golfe de Naples et le Vésuve. Aujourd’hui, on ne peut que deviner ce dernier dans la brume, tellement il fait chaud.

J’ai pris le bateau le plus lent et le moins cher au départ de Sorrento, à savoir le premier du matin à 8h30. Une heure plus tard, j’étais déjà à Marina Grande. Le funiculaire m’a fait monter à la ville de Capri et 10 minutes plus tard, j’avais laissé tous les touristes derrière moi. Je peux en témoigner : si l’on choisit bien le moment et l’heure, par exemple un lundi matin, et si l’on n’a pas forcément envie de visiter la Grotte bleue, il est possible de marcher plus de deux heures dans Capri, même en plein été, sans croiser plus que quelques autochtones !

Toute la partie nord-est de l’île est interdite à la circulation et seuls les petits chariots électriques sont autorisés à transporter des valises, des matériaux de construction ou autre. Il leur arrive cependant de laisser monter une volumineuse mamma avec un lourd filet à provisions… Je note que les prix dans les magasins sont tellement élevés sur l’île, que les locaux préfèrent utiliser leur pass pour aller faire leurs courses en bateau à Naples ou Sorrente.

Arrivé en haut à la Villa Clovis, je parviens avec un peu de flair à repérer un petit chemin caché entre les buissons, sur lequel je me promène ensuite un bon moment, avec la mer d’un bleu profond en dessous de moi. Seuls les cris de quelques mouettes et le bruit des bateaux à moteur se font entendre – c’est tout simplement magique ici !

Le sentier serpente tranquillement sur la colline entre les hauts murs qui entourent des villas et des jardins luxurieux. Je m’arrête sans cesse pour profiter de la vue sur ce versant fleuri et la mer ou pour admirer les petits carreaux de céramique peints qui donnent à chaque lettre un cachet particulier.

De retour sur la route, je croise un peu plus tard un facteur haletant dans la montée. Il perçoit aussitôt avec soulagement mon « Fa troppo caldo per lavorare – fait trop chaud pour travailler » de compassion, et s’arrête pour bavarder un peu. Il me demande d’où je viens et où je vais, et lorsqu’il apprend que je souhaite me rendre au Parco Naturale, il me fait un signe énigmatique de la main : Il ouvre une petite porte en fer forgé par-ci, en ferme une autre par-là, descend quelques escaliers et, hop, j’ai déjà raccourci le chemin d’un kilomètre.

Je le trouve charmant, même si je ne suis apparemment pas la première femme pour qui il fait cela. Dans les jardins voisins, les gens se moquent gentiment de nous et lui lancent des plaisanteries, ce qui en dit long. Mais où ailleurs dans le monde un facteur interromperait-il son travail avec autant de galanterie ?? Et puis, LUI doit remonter tout le chemin sous la chaleur, tandis que moi je descends allègrement vers la plage pour me jeter dans les flots, qui ont au moins l’air d’être propres, jusqu’au départ du dernier bateau. Je garde donc Anacapri et la Grotte bleue pour la prochaine fois, ravie d’avoir découvert « l’autre Capri ».

Le soir, je me mets sur mon 31 et je me rends à l’Albergo Loreley , la bien nommée. Le repas est correct, mais la vue sur le Vésuve et le soleil qui s’enfonce dans le golfe de Sorrente est si exceptionnellement belle que, pour une fois, je laisse mon livre dans mon sac pour me consacrer entièrement à la contemplation. Voir Naples et mourir ? Quand-même pas, faut pas exagérer.

Il faut cependant admettre que c’est au moins aussi beau que sur la Côte d’Azur. En plus, cette région a l’avantage de ne pas être aussi effroyablement urbanisée ! Dès les années 50, l’ensemble de la péninsule jusqu’à Amalfi a été interdit de construction – et cela a été merveilleusement respecté !

Demain matin tôt, départ pour le Vésuve, hourra.
Tôt, mon œil ! Ce n’est tout simplement pas possible dans ce pays. Je suis très contente de n’être ici qu’en vacances et de ne pas y devoir vivre et travailler. Je deviendrais folle. Peu avant 8 heures, je suis montée dans le « Circumvesuviana« , une sorte de RER entre Sorrente et Naples. Descendue à ERCOLANO, j’ai cru qu’il y aurait une correspondance, car le cratère du Vésuve n’est ouvert à la visite qu’à partir de 9 heures. Pas du tout !
Le premier bus part à 7 heures du matin. Pourquoi ? Doit-on attendre une heure et demie en haut pour l’ouverture ? Le deuxième bus ne part qu’à 9h20 et il n’est que 7h30, donc encore trop tôt pour aller voir les « scavi« , les fouilles d’Herculanum, qui n’ouvrent également qu’à 9h. Dommage…!
Je vais donc au marché, m’achète des fruits et bois un cappuccino dans un kiosque. Le propriétaire, un citoyen enthousiaste de sa ville, me la ‘vend’ immédiatement avec tempérament.

Je ne comprends qu’un dixième de son dialecte napolitain, mais je pige tout de même qu’ici, c’est BEAUCOUP plus beau qu’à POMPEI (geste de mépris) et que le Vésuve est bien plus impressionnant que l’Etna. Lorsque je lui fais remarquer qu’il vit tout de même sur un terrain dangereux, car le Vésuve pourrait à nouveau entrer en éruption, il jette les bras au ciel et s’exclame :

Madonna, nous devons tous mourir un jour
et comme ça, au moins, nous serions célèbres !

Je monte dans mon bus en souriant et je comprends un peu plus tard pourquoi il met près d’une heure pour parcourir les quinze kilomètres jusqu’au sommet. En effet, sans nous le demander, il bifurque juste avant le sommet et nous devons faire une pause forcée d’un bon quart d’heure dans un kiosque. Le propriétaire, qui est manifestement un ami du chauffeur de bus avec lequel il partagera probablement les bénéfices à la fin de l’été, nous encourage vivement de « prendre encore un peu de forces pour la montée ».

Mais je préfère m’asseoir et profiter de la vue gratuite sur le golfe et la ville de Naples. Je respire profondément l’air chargé d’odeurs et ne peux m’empêcher de penser à ‘mes’ deux physio-botanistes, car il existe ici une espèce de genêt que je n’ai jamais vue nulle part. C’est un intermédiaire entre le mimosa et l’aubépine, donc des arbres à genêts et ils sont tous en pleine floraison.

Ce parfum m’accompagnera sur le chemin du cratère et agrémentera le sentier de lave plutôt glissant. Heureusement que j’ai des chaussures adéquates. C’est avec une certaine jubilation que je passe rapidement devant des créatures haletantes, apparemment inévitables dans ce genre d’endroit, à savoir celles qui ont un ventre de bière ou des sandalettes dorées. Mais même ici, ce n’est pas la foule attendue de la haute saison.

Arrivé en haut, je suis subjugué par la vue et j’essaie de m’imaginer la catastrophe de Pompéi et d’Herculanum, ce qui n’est pas si simple. Les deux villes semblent si loin d’ici qu’il est incroyable de penser à la vitesse à laquelle la lave a dévalé la montagne.

J’aurais volontiers visité au moins l’une des deux villes, mais les transports publics étant si mal organisés, je ne suis rentrée à l’AJ qu’au plus fort de la chaleur de midi. Une baignade rafraîchissante m’attire davantage que la culture. Alors en route pour la mer, « fare la lucertola al sole – se faire lézard au soleil », belle expression !

LES ABRUZZES

Quelques soirs plus tard, je me félicite en me tapant sur l’épaule alors que je m’apprête à dîner à PESCASSEROLI. J’ai en effet réussi à obtenir une chambre avec toilettes et douche à la pension « Paradiso » pour le même prix qu’une auberge de jeunesse, c’est-à-dire pour 16.000 lires sans petit-déjeuner. L’établissement est certes littéralement le dernier de la place, puisqu’il se trouve à presque deux kilomètres du centre, mais cela ne me dérange pas. On me propose un « passaggio » en voiture vers le village et les lucioles m’accompagneront au retour.

Je viens de prendre une bonne douche et, par précaution, j’ai lavé mes vêtements, car qui sait s’il y aura encore de l’eau chaude demain matin. C’était une longue journée de voyage étouffante et il m’a fallu à nouveau presque sept heures pour parcourir les quelques 170 km qui séparent Naples du Parco Naturale d’Abruzzo. Mais maintenant, j’y suis ! Les tilleuls sont en pleine floraison et dégagent un parfum envoûtant, il fait agréablement frais et dès demain, je vais partir à la découverte du parc.

Aujourd’hui était vraiment le plus beau des quatre jours passés ici ! Pas étonnant, puisqu’il est dédié à la Vierge noire de la montagne silencieuse. Mon nom dans le passeport est Leisenberg. On ne peut pas inventer une chose pareille ! La Madonna Nera di Monte Tranquillo quitte l’église le dernier dimanche de juillet. Elle est fièrement portée sur les épaules par quatre hommes jusqu’au sommet de la montagne et, après la messe obligatoire en plein air, un pique-nique géant est organisé pour tout le village. Génial !

J’ai rendu hommage à « ma » montagne (ci-dessous) dès le premier jour, avec une très belle randonnée au cours de laquelle j’ai fait la connaissance du peintre Paolo et de son amie Andreana. Tous deux m’avaient gentiment invitée à partager leur incroyable et délicieuse omelette au basilic.

Aujourd’hui, j’ai choisi de prendre un autre chemin et je suis partie à sept heures et demie du matin. Après une montée très difficile de huit cents mètres, le parcours devient tout simplement divin. Lors d’une belle randonnée sur les crêtes, je me sens tellement plus proche du soleil et des contrées élyséennes. Il n’y a que voler qui soit plus beau ! À dix heures et demie, le ciel est encore sans nuages. Mon regard porte loin sur les crêtes dénudées, souvent rondes, des montagnes environnantes et sur les forêts de hêtres denses, d’une beauté unique, qui descendent jusqu’aux villages.

Une des caractéristiques de cette région est qu’elle se couvre vers midi et que l’après-midi, soit un orage éclate, soit les nuages se dissipent jusqu’au soir. En regardant le panorama à mes pieds, il est tellement agréable de pouvoir se dire :

Cette partie, tu l’as faite le second jour et là il y a le chemin avec des fraises des bois.
Mais tu n’as pas pu faire le chemin là-haut ce coup-ci,
il faut le laisser pour la prochaine fois…

Pescasseroli est une véritable station de vacances. Elle est située à plus de mille mètres d’altitude dans une immense vallée onduleuse, entourée de sommets de près de deux mille mètres. Les Romains l’apprécient été comme hiver, car la ville n’est qu’à deux heures de route. En été, on y pratique l’équitation, la randonnée et les sports nautiques, et en hiver, le ski. Tout est très familial, il y a très peu de touristes étrangers et donc uniquement des journaux italiens dans les kiosques.

Ce qui me frappe chaque fois au restaurant (que les Italiens fréquentent de préférence le soir, à midi ils se contentent souvent d’une part de pizza achetée à la boulangerie ou d’un panino ), c’est la patience et l’amour dont font preuve les deux parents à l’égard des bambini. Ce dimanche matin aussi, les enfants et les jeunes peuvent faire ce qu’ils veulent pendant la messe : les uns chantent ou prient avec leurs parents (les chevaux sont d’ailleurs également bénis). D’autres attisent les innombrables foyers – exceptionnellement autorisés aujourd’hui – qui attendent déjà les grillades pour le pranzo. Beaucoup se contentent de courir et de s’amuser.

Il y a certainement plus de mille personnes réparties dans la vallée, soit un bon tiers de la population locale. (Nombre d’entre eux ont dû rester en bas, car malgré la fête, tous les magasins sont ouverts le dimanche, sauf à l’heure sacrée de la sieste.) Cela donne un joli tableau coloré : le costume blanc et noir des religieuses, les chemises rouges et grises des « Alpini » qui ont l’honneur de porter la Madone, les chapeaux et uniformes amusants de la fanfare du village, des pompiers, des policiers, se mêlent aux robes d’été à fleurs multicolores.

Je me pose tranquillement sur une place libre entre trois familles, en faisant attention à ne pas trop recevoir la fumée des feux, et je m’installe pour manger et observer. Alors que je viens de terminer mon pique-nique et que je commence un peu à m’apitoyer sur mon sort car personne ne me prête attention, l’une des femmes de la famille qui campe en dessous de moi monte vers moi avec une petite assiette sur laquelle se trouvent deux côtelettes d’agneau grillées et me demande si je veux les manger.

Comme je pense devoir à ma bonne éducation de refuser poliment, elle me demande, horrifiée, si je suis végétarienne…! Je m’empresse donc de manger la viande, la complimente et la remercie. Elle m’invite gentiment et je descends dix mètres plus bas.

On m’offre du vin, un énorme morceau de pastèque — et beaucoup, beaucoup de conversation ! Cela se passe ainsi : quand je leur explique que je suis ici entre autres pour APPRENDRE l’italien, ils supposent que je PEUX déjà le faire et se mettent à parler avec leur rapidité habituelle.

Cela signifie que je capte quelque chose de temps en temps et que je laisse passer le reste, c’est-à-dire quatre-vingt pour cent. Pour ce qui est de parler, c’est encore une autre histoire : je n’ai plus peur d’ouvrir la bouche et ils comprennent globalement ce que je dis. Mais bien sûr, je me rends compte à chaque fois du nombre de mots de vocabulaire et de tournures grammaticales qui me manquent encore.

Malgré tout, c’est très agréable de bavarder avec cette Romaine qui travaille dans une crèche. Et puis tout à coup, le chant commence ! A ce propos, je voudrais faire remarquer que les Italiens, bien qu’ils aiment leur vino et leur grappa et qu’ils les boivent assidûment, je n’ai pas vu un seul d’entre eux ivre !

Les chansons aussi, pour autant que je puisse les comprendre, ne sont pas celles que l’on braille entre deux pitreries, mais des chansons populaires de montagne. Je me faufile vers le groupe d’Alpini, c’est-à-dire de chasseurs alpins, qui chante le mieux, pour écouter. Mais tout de suite, on me dit énergiquement de rejoindre le groupe.

Une fois de plus, on me sert du vin et une grosse côtelette (même emballée dans un petit pain, au secours !) et on surveille de près que je la mange, car on me trouve trop maigre. Après une randonnée de quatre heures comme celle de ce matin, je dois reprendre des forces !

Alors, pour la madone, je finis aussi la côtelette, en me jurant secrètement de jeûner au moins jusqu’à demain midi, et je continue à écouter avec grand plaisir le chant choral, vraiment de qualité. Toutes les deux minutes, un autre homme vient s’asseoir à côté de moi pour bavarder un peu ou m’expliquer le sens des chansons, souvent chantées en dialecte. Le sindaco, le maire Nicola, arrive à la fin.

Entre-temps, il est remonté jusqu’à lui que « la Parisienne » aime bien cette fête en général et les chansons des Alpini en particulier. Il faut bien sûr l’honorer. Donc encore du vin et de la grappa et des questions sur le lieu et la destination. Tout le monde est très admiratif de mes performances sportives. « Même en tant que donna da sola, donc en tant que femme toute seule, vous êtes capable de marcher quatre à six heures par jour dans les montagnes, chapeau! »

Je leur parle de ‘mon’ chamois des Abruzzes, que j’ai pu admirer un instant, et de mon regret de n’avoir même pas vu les traces de pattes du « grand brun ». L’un des hommes me répond en riant que je ne suis pas la seule : sur les 90 ours qui vivent encore dans les Abruzzes, il n’en a vu que deux en 24 ans ! Je laisse libre cours à mon enthousiasme pour la magnifique vallée du Val de Fondillo et tous se réjouissent sincèrement que je trouve leur région si belle.

Alors que nous partons, car la Madone doit redescendre dans la vallée, le maire me propose de m’emmener dans sa voiture, ce que j’accepte volontiers, notamment en raison de la quantité d’alcool que j’ai consommée, même si mon dos miaule, car la route n’est qu’un mauvais chemin de terre.

Nicola me raconte sa vie de maire non rémunéré (!) – il est géomètre de profession – et le vol de la Madone originale, qui datait du 12e siècle. Elle a probablement été transportée en France, car il existe un commerce de contrebande florissant de reliques volées. C’est pourquoi toutes les églises italiennes sont fermées à clé et ne sont ouvertes qu’à certaines heures, lorsqu’il y a quelqu’un pour les surveiller.

Il m’invite ensuite à venir à sept heures et demie du soir à la procession qui passera tout près de mon hôtel. Tout le village sera à nouveau mobilisé et plus tard, il y aura un bal devant la mairie. Malheureusement, il ne peut pas participer à la danse, car il doit aller chercher sa femme à la mer. Il prend congé de moi galamment en me faisant un baise-main devant mon hôtel et je me précipite sous la douche. Ensuite, j’enfile ma plus belle robe rouge, mais je prends aussi mon pull, car le soir, il fait généralement très frais.
Et c’est reparti.

J’arrive à l’endroit convenu, où m’attendent déjà les cavaliers et la musique, ainsi qu’une foule de vieilles femmes vêtues de noir, toutes armées d’une branche de hêtre vert. Le sindaco est aussi déjà là et nous discutons à nouveau de manière très animée.

Les deux prêtres, dont l’un est armé d’un micro (le haut-parleur correspondant est porté par un enfant de chœur), ordonnent maintenant la procession : devant, les cavaliers, puis les nonnes et autres dévotes, puis les musiciens – qui jouent d’ailleurs une musique de marche étonnamment entraînante pour cette cérémonie religieuse – puis la Madone et ensuite… NOUS !
Oui, le maire m’a tout simplement fait entrer dans le cortège, à côté de lui, au premier rang, comme une invitée d’honneur en quelque sorte. Ce n’est pas ce que j’avais imaginé, mais je ne peux décemment plus en sortir. Le prêtre chante, psalmodie, puis à tour de rôle, soit la fanfare, soit nous, reprennent, le prêtre nous demandant à grand renfort de « forza » de chanter avec plus de ferveur et de force.

Au bord de la route, les gens font le signe de la croix et jettent de temps en temps un anneau ou un autre bijou à la Vierge pour lui demander grâce. Ils sont fixés à l’aide d’épingles sur un foulard que l’on porte avec la statue. Je me sens un peu bizarre, je dois l’avouer, et j’essaie au moins d’avoir l’air digne et de fredonner les mélodies.

Je suis apparemment une épine dans le pied du prêtre très autoritaire – ou est-ce ma robe rouge ? En tout cas, il réussit, en bousculant et en réorganisant les fidèles à plusieurs reprises, à me reléguer au deuxième rang, ce qui est accueilli par un haussement d’épaules de Nicola, qui regrette. Contrairement à lui, je suis très contente, car je viens de découvrir Paola et Andreana sur le bord de la route et m’en vais sans hésiter.

Un grand BUONA SERA et une accolade – comme si nous nous connaissions depuis des années ! Ils ne me posent pas de questions, ils me font monter dans leur BMW et m’emmènent dîner chez eux. Je ne peux vraiment pas leur dire que j’ai déjeuné presque jusqu’à 16 heures…

Je leur raconte les événements des derniers jours et ils me font visiter la maison. Andreana a 65 ans, soit dix ans de plus que l’éblouissant Paolo (beau comme on s’imagine un Romain !!). Ils sont ensemble depuis plus de vingt ans, mais vivent intelligemment à Rome dans deux appartements séparés et ne passent que les deux mois d’été ensemble. L’un à Pescasseroli, l’autre à la mer.

Paolo fait de la peinture figurative, mais n’expose pas, car il estime que c’est une perte de temps. Il a un agent à Rome qui vend tout pour lui. Apparemment, il se porte bien financièrement. Nous passons une soirée très agréable ensemble autour d’un excellent minestrone et du vin blanc local. Peu à peu, mes yeux se ferment et après un petit tour au bal du village, les deux me ramènent à mon albergo. Quelle magnifique rencontre !

Me voici assise sur une verte prairie, près d’un grand lac bleu dans lequel se reflètent les montagnes. Le LAGO CAMPOTOSTO, situé un peu au nord-ouest du GRAN SASSO, à plus de 1000 mètres d’altitude. Autour de moi, je n’entends que le chant des grillons, le cri d’une mouette, le tintement des clochettes du troupeau de moutons qui se rapproche de plus en plus et le gazouillis des oiseaux derrière moi dans le bosquet. Tout là-bas, à l’autre bout du lac, un camion ronronne doucement. Je suis bien !

Pourtant, j’ai dû essuyer le premier échec de ce voyage. Je ne suis en effet pas parvenue à atteindre le Campo Imperatore, ni le plus haut sommet des Abruzzes, la Corne du Gran Sasso. Même après deux tentatives, je n’y suis pas arrivée, ce qui est vraiment rare chez moi. Pour les personnes qui n’ont pas de voiture, il est impossible de faire face à la durée excessive de la marche d’approche, et je trouvais que monter au Campo Imperatore en télésiège n’était pas assez sportif.

Lundi dernier, j’étais assez énervée en traversant L’AQUILA, ville étouffante et totalement déserte à cause de la sacrosainte sieste : le musée du château était fermé, les églises étaient fermées, l’office du tourisme aussi bien sûr, et le dernier bus pour Prato di Tivo – le village le plus proche du Gran Sasso sur ma carte – venait de partir. Une fois de plus, il est bon de pouvoir se promener seul et de laisser libre cours à sa mauvaise humeur sans déranger personne.

L’Aquila est un ancien nid d’aigle typique des Abruzzes, situé près d’un lac de montagne naturel, très joli et pittoresque. Malheureusement, la ville est aussi chère, la chambre coûte le double de celle de Pescasseroli. Et pour parcourir les DIX kilomètres à vol d’oiseau, j’ai tourné en rond pendant une dizaine d’heures ! J’ai toutefois pu découvrir une grande partie des Abruzzes à travers les fenêtres panoramiques des bus. Et j’ai passé une très belle journée tranquille au bord – et dans – le lac de Scanno.

Le soir, je pique-nique sur la prairie qui offre la plus belle vue sur le village. Je me demande si je n’ai pas pris froid à ce moment-là malgré mon pull. Dans la nuit, je me réveille en proie à un mal de tête carabiné et à des frissons. Ach ! Il n’y a qu’une chose à faire : partir le lendemain matin et faire transpirer le mal, quoi que ce soit.

Ce jour-là, je gravis la montagne à un rythme d’escargot et je dois me contenter de ne faire que la moitié du chemin, car je ne me sens vraiment pas assez bien. Néanmoins, ce remède de cheval a pour effet que le lendemain, tout est terminé. De plus, la randonnée m’a permis de pratiquer à nouveau mon italien, car j’ai rencontré un père et son fils Stefano, qu’il initie aux secrets de la randonnée en montagne.

Il a neuf ans et me raconte fièrement, dans un italien effervescent, qu’il a pêché quatre poissons hier, qu’ils seront servis ce soir au dîner, qu’il est en route depuis trois heures, etc. etc. Après lui avoir demandé à plusieurs reprises de parler plus lentement, sinon je ne comprendrais pas tout, ma patience est à bout. D’un trait, je raconte aussi vite en anglais (langue qu’il commence tout juste à apprendre à l’école) mes aventures de la matinée. Il ouvre de grands yeux étonnés et le père éclate de rire.

Hier aussi, j’ai eu à deux reprises l’occasion de mettre en pratique mon nouveau vocabulaire et mes nouvelles tournures grammaticales. J’étais dans le premier bus à 7 heures du matin pour Sulmona, puis j’ai changé pour L’Aquila, ensuite j’ai pris le troisième bus pour Teramo, et de là un autre pour Montione, où j’ai passé deux heures dans la chaleur torride de la sieste. Enfin, j’ai pris le CINQUIÈME bus pour Prato di Tivo. De là, je voulais aujourd’hui escalader la Corne du Grand Sasso.

À 15 heures, je suis sur place et je regarde le bus qui disparaît. Je dois avoir l’air bien bête, car Prato di Tivo n’est pas un village (même s’il est indiqué comme tel sur la carte !!), mais seulement un alpage avec 7 hôtels dessus – tous plus chers les uns que les autres. Et la montagne que j’aurais tant aimé gravir a l’air très peu accueillante, entourée de brumes et de nuages. Ah non alors, ce n’est pas du tout ce que j’avais imaginé !

En trois minutes, je décide donc de laisser tomber les montagnes et de redescendre dans la vallée. En auto-stop, bien sûr, car le bus venait de partir et le prochain ne partirait que demain matin. J’arrête la première voiture venue et, chose amusante, c’est un guide de montagne qui la conduit. Lino me propose de suite ses services pour le lendemain. Pour la modeste somme 200.000 lires, c’est-à-dire 1000 francs ou 300 marks, la somme que je dépense normalement en quatre jours ! Mais je n’ai pas besoin de lui en parler, je préfère lui raconter mes randonnées et il me tape sur les cuisses de façon enthousiaste tout en saluant mon dynamisme.

Il me dépose dans le village le plus proche, où il me fait rencontrer une jeune femme poussant un bébé, dont l’ami fait encore la sieste, mais qui descendra « plus tard » dans la vallée. Nous discutons de l’Italie en général et de la mafia en particulier. Ici, elle fait réellement parler d’elle et est désapprouvée par tous.
Et puis je le vois et je crois rêver ! Un vrai Français, comme je n’en ai pas vu depuis deux semaines, avec une plaque d’immatriculation de Versailles. Bien sûr, il m’emmène dans la vallée et il s’avère qu’il est étudiant en géologie et qu’il doit chercher là des échantillons de pierre pour sa thèse. Pourtant, le pauvre n’aime ni l’Italie (« Je m’ennuie de la France » dit-il avec nostalgie) ni la montagne et ne partage pas du tout mon enthousiasme pour les Abruzzes.

Une fois dans la vallée, je dois encore parcourir près de cinq kilomètres pour atteindre le lac. Je me fais embarquer par un homme qui voulait aller pêcher. Mais comme il n’est pas encore six heures du soir et qu’il fait bien trop chaud, il m’emmène jusqu’au village de Campotosto, ce que je trouve alors vraiment très sympa. Le lac est artificiel et la légende dit que par temps clair, on peut voir le sommet de la tour de la ville engloutie. Je viens de m’y baigner et je n’ai malheureusement rien vu. Dommage ! Ensuite, je fais le tour du village et je constate que demain matin, j’aurai à nouveau à me lever tôt, puisque le SEUL bus pour L’Aquila part à 6h40….

Un peu sonnée par les événements de la journée et par ma faim, j’arrive à l’auberge où un quinquagénaire très soigné est assis à la table que j’avais réservée. Il me demande alors poliment s’il peut se joindre à moi pour le repas, sinon il devra manger seul à l’intérieur, car il n’y a que quatre tables sur la terrasse. Je n’aime de toute façon pas manger seul et en plus, je suis de nature généreuse, c’est oui….

Ce fut une soirée particulièrement agréable. Guiseppe, enseignant, motard par passion et originaire de Calabre, me raconte que j’ai atterri par hasard dans l’une des meilleures trattorias des environs. Les gens qui aiment les guides gastronomiques font un détour exprès pour pouvoir déguster ici les « Tagliatelle ai porcini« . Et ces pâtes aux cèpes sont vraiment exceptionnelles – pour un prix dérisoire !

Deux heures durant, nous bavardons. Parfois, je dois utiliser mon petit dictionnaire, car notre conversation glisse de nos voyages à la politique, à l’amour et à la philosophie de vie en général. Il me manque souvent du vocabulaire. Je constate ce soir-là que je devrai malheureusement aller chez l’ophtalmo pour faire changer mes lentilles, car je deviens, hélas, vieille et hypermétrope. Evidemment, Guiseppe me rassure qu’ à ses yeux, je suis la jeunesse personnifiée…. aaah, le charme des Italiens !

Le lendemain
Un planeur vole silencieusement au-dessus de moi et la prairie voisine est d’un vert étincelant. Ce midi, j’ai pris quelques photos depuis le MONTE TERMINILLO, qui culmine à plus de deux mille mètres. C’est la plus septentrionale des montagnes centrales d’Italie, à seulement quatre-vingts kilomètres de Rome. Aujourd’hui, le voyage a été plus rapide que jamais, je retrouve le Nord de l’Italie.


Après seulement trois bus et trois heures et demie d’un magnifique voyage depuis L’Aquila via Autodoco et Rieti, je suis déjà à dix heures et demie à l’auberge de jeunesse, qui est miraculeusement ouverte, car normalement elles sont fermées de 9 à 17 heures. Je peux ainsi poser mon sac à dos et me préparer pour la montagne.

Le village de Terminillo est sorti de terre il y a quelques années à peine. Il est assez laid avec ses hôtels et ses résidences, car le village est également une station de sports d’hiver. Le pire, en été, ce sont ces remontées mécaniques, qui ont l’air idiotes. Ils ne sont pas peints en vert, mais en rouge, ce qui les rend particulièrement laides dans les prairies parsemées de de toutes les fleurs alpines possibles et imaginables.

Comme il est déjà trop tard pour une randonnée en montagne, je prends exceptionnellement le télésiège et je trouve merveilleux de pouvoir profiter de la vue unique sans devoir m’arrêter à chaque pass, car en montagne, la règle numéro 1 est : soit on marche, soit on regarde !

En rentrant à l’auberge de jeunesse, je trouve un uniforme accroché dans « mon » armoire et je me dis : « Tiens, on m’a joint un bel officier ? »Jusqu’à présent, j’étais seule dans la grande chambre. Mais j’ai du mal à l’imaginer, car j’ai entendu des choses intéressantes lorsque j’ai demandé à plusieurs reprises aux responsables pourquoi il y avait si peu d’auberges de jeunesse dans ce pays, en particulier dans le sud.

Toutes les auberges de jeunesse sont depuis longtemps une épine dans le pied de l’Eglise catholique, parce que les hommes et les femmes y dorment sous le même toit, certes séparés par dortoirs et le plus souvent même par étages !
Or, cette auberge de jeunesse de Terminillo a reçu il y a deux ans le prix de la meilleure auberge de jeunesse européenne pour les sports d’hiver. À mon avis, c’est à juste titre, car la salle de séjour avec sa grande cheminée, son bar et sa télévision est particulièrement accueillante. Les dortoirs sont petits et propres comme un sou neuf, et on y prend un bon et copieux dîner pour seulement 12 000 lires. Je ne peux donc pas m’imaginer qu’ils mettent en jeu leur bonne réputation juste pour que je puisse élargir mon vocabulaire. En effet, l’officier fringant se révèle être une jeune garde-forestière. Elle est très gentille et discrète, tandis que sa copine est un vrai moulin à paroles et – pire encore – une ronfleuse !

Ce matin, je me réveille donc un peu fatiguée. Cela ne m’empêche pas de gravir les 600 mètres de dénivelé en 80 minutes et de terminer ma magnifique randonnée sur les crêtes après seulement trois heures. Mais voici maintenant le gag de la journée.

A peine ai-je atteint l’aera di picnic de l’AJ, que deux hommes âgés, en train d’allumer le feu pour le barbecue du dimanche, me demandent d’où je viens et où je vais. Tout en répondant, je remarque alors trois jeunes gens penchés sur un jeu à la table voisine. Je passe à côté, je jette un coup d’œil rapide et – pas possible : c’est un Scrabble !

Comme je conseille immédiatement à l’un des garçons (sans lui demander son avis, hrrm) de placer son mot là où il lui rapportera trois fois plus de points qu’à l’endroit qu’il avait choisi, il est ravi. Et hop, je suis invitée à jouer avec eux. Mon premier Scrabble en italien !

De temps en temps, je peux regarder un mot dans le dictionnaire, mais la plupart du temps, je m’en sors sans et je suis très fière d’arriver en deuxième position à la fin. Il est vrai qu’en Italie, les règles du jeu sont beaucoup plus simples qu’en France. C’est fabuleux d’être plongé dans un jeu à 1600 m d’altitude en plein soleil !

Le soir, j’ai encore une conversation très agréable à table avec un couple de Romains. Lui est fonctionnaire à la retraite, elle professeur de latin et de grec, et nous échangeons sur le comportement des élèves. Comme c’est la troisième fois aujourd’hui qu’on me demande mon âge (et ce, par le mari), je réponds effrontément que j’ai l’âge qu’il me donne. Apparemment, ce voyage me convient – il m’en donne 28 et je me garderai bien d’avouer mes 44.

CORTONA, PERUGIA ET LE LAC TRASIMÈNE

Ce matin, à sept heures et demie, je suis déjà dans la rue à CORTONA et je monte à la forteresse, sachant que c’est le seul moment de la journée où je pourrai le faire.

Je repense avec un peu de nostalgie à mes belles montagnes fraîches et à la promenade matinale d’hier dans la charmante petite ville de RIETI, où j’ai été initiée – encore une fois à la va-vite – par un vieux monsieur, historien de la ville : elle a donné naissance à trois empereurs romains et trois célèbres sanctuaires de Francesco d’Assisi se trouvent dans les environs. La plaine s’appelle Piena Sancta et — et – et mon bus part dans 10 minutes, allora ciao signor ! Mais je l’ai quand même trouvé très gentil quand il a dit qu’il n’était qu’un simple citoyen qui aimait sa ville.

Deux heures plus tard, je me précipite sur « die Zeit » et le « Spiegel » à PERUGIA, affamée de nouvelles. Les journaux français ne sont pas encore arrivés. Depuis ma dernière visite, on a heureusement fini de rénover le boulevard et la grande place. Cela en valait la peine, mais tout a encore un peu l’air d’une femme qui sort de chez le coiffeur. À 11 heures du matin, il fait déjà une chaleur insupportable et ici aussi, le centre est très peu peuplé de touristes, si je le compare au mois de juillet d’il y a sept ans.

À CORTONA, il fait encore plus chaud. Bien que l’AJ soit très bien située, avec une vue magique sur le clocher de l’église en face sur toute la plaine jusqu’au lac Trasimène, le soleil de l’après-midi la frappe impitoyablement et, malgré une douche froide et des fenêtres ouvertes, il est difficile de tenir la nuit dans le dortoir.

Cortona est une ville magnifique, avec deux places principales particulièrement agréables, l’une devant l’hôtel de ville, l’autre devant le théâtre. Ce matin, j’ai visité deux musées et une exposition spéciale sur les Étrusques. A cette occasion, il m’arrive à nouveau une belle histoire. En effet, je fais la connaissance d’un couple d’Allemands et c’est la première fois depuis Bari que l’on s’adresse à moi en allemand. Je me plains des problèmes de transport dans ce pays, qui sont vraiment fous. En effet, pour se rendre au lac Trasimène, il faut d’abord prendre un bus jusqu’à la gare située à cinq kilomètres d’ici, puis attendre le train pendant une heure et demie pour un trajet de SEPT minutes !

Les Allemands de Cologne sont tout de suite compatissants et me proposent spontanément de m’emmener avec eux, car ils habitent au bord du lac dans un centre de vacances où les enfants les attendent. Ils me demandent toutefois de les accompagner à l’église Saint-François, qu’ils souhaitent visiter après le musée. Cela me convient parfaitement.
En chemin, je leur parle de ma visite de la forteresse ce matin et la femme me dit spontanément :

Oh non, ce n’est pas pour nous –

vous savez, à 50 ans et 46 ans, on n’est plus très courageux.

Je me retiens de rire, mais je ne dis rien.

Ce n’est pas tout : comme nous avons droit à un privatissimum du padre dans l’église, qui nous explique tout en détail et nous montre le « vrai » linceul du saint, je veux sortir mon porte-monnaie pour une offerta, mais la dame de Cologne me fait un signe magnanime : « Laissez, vous êtes étudiante, je m’en occupe. À votre âge, j’ai aussi beaucoup voyagé » ! Je la laisse volontiers à ses certitudes.

Je trouve PASSIGNANO, où ils me déposent, bien plus joli que le célèbre Castiglione del Lago. Je prends ensuite le premier bateau pour l‘Isola Maggiore. Mais lorsque je vois depuis le bateau les eaux troublées du lac – beurk, pas question d’entrer en contact avec cette saleté. Dommage !

Je m’assieds donc sous un arbre sur l’île pour lire. Toutefois, je suis rapidement chassée par les moustiques, car il fait de plus en plus lourd au fil de la journée. Au printemps et en automne, cette région doit être magnifique, mais en ce moment, il fait trop chaud. Demain, je repartirai vers les Dolomites en passant par la Toscane.

LES DOLOMITES
Vendredi, 14. August. Malgré moi, j’écris à nouveau la date en allemand, car je ne me trouve plus vraiment en Italie : dans le Tyrol du Sud, certaines choses sont tout de même différent. Cela fait maintenant huit jours que je suis dans les Dolomites, heureuse d’avoir échappé à la Toscane étouffante et à ses moustiques voraces.

J’ai passé le week-end dernier à VALLE DI CADORE. Il a été extrêmement difficile de trouver une chambre individuelle à un prix abordable dans les environs de Cortina d’Ampezzo, mais être têtue a toujours été mon point fort. La chambre est certes simple et très bruyante, car elle donne directement sur la route, mais je me réjouissais énormément d’être de retour dans les montagnes. J’ai donc pu partir de PIEVE DI CADORE pour deux magnifiques randonnées d’une journée.

Les Dolomites sont vraiment uniques, on ne m’avait pas fait trop de promesses ! De « grandiose, sublime, fascinant » à « idyllique, accueillant et charmant », on peut passer en revue tous les vocables pertinents, ils sont toujours justes ! J’ai la chance d’avoir un temps exceptionnel, avec un ciel sans nuages, ce qui, selon les habitants, ne se produit presque jamais à cette époque de l’année. Le panorama depuis les Trois Cimes, dont j’ai fait le tour dimanche, est certainement l’un des plus impressionnants que je n’ai jamais vu en montagne.

À Pieve di Caldore, j’ai encore les plus grandes difficultés à trouver un journal allemand. En même temps, lors du dîner, j’ai la grande satisfaction de servir pour la première fois d’interprète entre un client allemand et la jeune serveuse qui ne parle qu’italien.

Par contre, dans la vallée GRÖDNERTAL et à SANKT ULRICH, j’ai l’impression que les Italiens se rendent visite à eux-mêmes. Pourtant, ces deux endroits ne sont distants que d’une soixantaine de kilomètres à vol d’oiseau – mais il me faut à nouveau 5 (!) heures en bus. Et à EPPAN, où je me trouve actuellement, à 15 kilomètres seulement de Bolzano, l’italien est largement distancé par l’allemand.

La différence de prix des chambres est également flagrante : ici, pour les mêmes 25.000 lires que j’ai payées à Pieve, j’ai droit à un petit déjeuner si copieux que je peux encore emporter un petit pain en pique-nique. Même si la chambre est très petite, les lits sont nettement meilleurs.

A Sankt Ulrich, même l’office du tourisme est ouvert en permanence et je respire : Ahhhh, enfin la fin de la sieste ! Ce serait idiot ici, dans les montagnes. De plus, pour la première fois depuis le début de mon voyage, il pleut ce jour-là pendant trois heures sans interruption et j’arrive complètement trempée dans ma petite chambre située en haut de la colline.

Mais trois heures plus tard, le soleil brille à nouveau et je peux partir pour ma petite randonnée vers l’église Saint-Jacques. Le « Salve » italien (avec un « s » aigu au début et un léger « è » à la fin) alterne ici avec le « Grüß Gott » chaleureux des Tyroliens et le « Tag » bourru des Allemands. Je m’amuse à deviner de loin la nationalité des gens que je croise.

La GRÖDNERTAL – Louis Trenker, célèbre alpiniste, acteur, réalisateur italo-autrichien, y est né et enterré – est particulièrement attrayante et on a le choix entre de nombreux sentiers.

En hiver, cela doit aussi être magnifique. Les remontées mécaniques sont beaucoup mieux intégrées, elles semblent vraiment faire partie du paysage et passent presque inaperçues. C’est donc possible ! Beaucoup de ces remontées fonctionnent aussi en été, ce qui a pour moi une conséquence fâcheuse : en haute saison, les sentiers de montagne sont très fréquentés, car on arrive facilement partout sans devoir faire d’efforts grâce aux téléphériques.

J’interromps donc ma randonnée autour du groupe du Langkofel parce que sur le sentier étroit mais relativement plat, un monde fou est venu avec des enfants, des mamans et des bébés sur le dos. Si je dois demander toutes les trois minutes « permesso« , parce que je voudrais avancer rapidement mais que je dois me faufiler entre tous ces gens, cela ne m’amuse pas du tout. Je préfère donc traverser des prairies moelleuses jusqu’à la SEISER ALM, où tout le monde est en train de faire les foins.

Ici, l’herbe n’est coupée qu’une fois par an, début/mi-août — à la main avec une faux ! Ou alors beaucoup plus souvent avec ces petites machines, certes pratiques mais horriblement bruyantes, qu’un homme peut conduire même le long d’une pente raide. J’observe aussi un homme aux pieds nus envelopper son foin dans un énorme drap carré et le porter sur son dos jusqu’à l’étable …!

Le sens de l’ordre du Tyrolien du Sud leur fait tondre l’herbe en rangées si précises qu’elles forment de véritables motifs… C’est évidemment très joli, mais c’est peut-être l’un des éléments qui font que, malgré la gentillesse évidente des commerçants et de mes logeuses, malgré le soulagement linguistique (car c’est toujours un petit effort pour moi de parler italien), je ne me sens pas vraiment à l’aise ici.

Il y a un peu trop de sculpteurs sur bois (à St. Ulrich et dans les environs, c’est une maison sur deux !), un peu trop de géraniums rouges devant les balcons, toujours les mêmes, un peu trop de maisons peintes, un peu trop de musique tyrolienne – et surtout, surtout ce dialecte ‘bavarois-autrichien-suisse-tyrolien’ qui déforme mollement notre beau et clair Hochdeutsch. Tout cela me tape sur les nerfs.

Je voudrais toutefois souligner le fait que le bilinguisme TOTAL est devenu une réalité dans la province de Bolzano, grâce à un système éducatif très intelligent : dès 4 ans, les chers petits sont biberonnés avec des bribes de l’autre langue, aussi bien à la maison qu’au jardin d’enfants ou à l’école maternelle, sans être immédiatement « dépassés ». A partir de la deuxième année, ils apprennent à lire et à écrire dans l’autre langue.

Ce qui prouve une fois de plus, comme à Montréal, que cela n’a rien à voir avec le « talent linguistique », comme veulent toujours s’en défendre nos chers Français, mais avec l’organisation et l’assiduité. Tous les gens ici, du chauffeur de bus au professeur d’université, sont complètement bilingues !!

Surtout la jeune génération et la génération « intermédiaire » se sont parfaitement accommodées de la citoyenneté italienne. Les perpétuels « contre » ne sont plus qu’une infime minorité et les Autrichiens, qui considèrent toujours volontiers le Tyrol du Sud comme leur territoire, sont particulièrement impopulaires ici ! Toutefois, comme cette région est très prospère, voire riche, et il est alors facile d’être satisfait. L’industrie, en particulier les scieries, le tourisme, le vin et les vergers assurent à la population un revenu plus que correct.

Lundi, la récolte des pommes commence ici à EPPAN et partout sur les chemins de randonnée, qui passent souvent au milieu des vergers, des panneaux sévères sont installés :

Au randonneur la nature, à l’agriculteur les fruits !

Cela ne m’empêche pas de chiper de temps en temps une Gravensteiner fraîchement cueillie – elle est tout simplement meilleure que celle que j’ai achetée. J’ai même reçu deux pommes en cadeau d’un paysan dont le berger allemand s’est précipité sur moi et m’a pincé le tibia parce que je me trouvais soudain dans une cour de ferme en venant d’un chemin forestier.

L’homme s’excuse pour son clebs et sa femme accourt aussitôt avec de l’alcool pour me désinfecter. Pendant que l’homme m’emmène un petit bout de chemin en voiture, il m’explique que je peux tranquillement manger les pommes sans les laver, car le « délai de carence » pour les poisons utilisés est dépassé depuis longtemps si près de la récolte. Réconfortant !

Les cueilleurs de fruits viennent d’ailleurs de leur propre pays, la Calabre et la Sicile. Je ne peux m’empêcher de penser à ce constructeur de tunnels avec qui j’ai mangé à une table à Pieve di Caldora et qui m’a raconté sa vie. Pour gagner de l’argent pour la construction de sa maison, il travaille depuis des années (!) seize heures par jour (!!), soit deux fois huit heures. Voilà pour le préjugé sur les « Italiens paresseux » ! Mais ils ne savent pas s’organiser et leurs efforts restent donc, dans l’ensemble, assez inefficaces. De plus, la corruption et le problème non négligeable de la mafia viennent compliquer les choses.

Aujourd’hui, 15 août, j’ai l’intention de m’attaquer à la quatrième et sans doute dernière randonnée d’altitude du dimanche : au départ de la Madonna di Campeglio dans les Dolomites de Brenta, le Giro di Cinque laghi, c’est-à-dire le chemin des cinq lacs. Malheureusement, hier matin, au départ d’Eppan, pour la première fois depuis six semaines, tout était gris et les hirondelles se demandaient si elles ne devaient pas tout de suite prendre leur envol en direction du sud.

Mais lorsque je monte en téléphérique au Col de Mendel et que je marche jusqu’au magnifique Monte Penegal, d’où l’on a une vue magnifique sur Caldaro, le lac et toute la vallée jusqu’à Bolzano, il fait nettement plus clair.

Le vent est particulièrement froid ce matin et il ne fait plus que huit degrés sur la tour panoramique. Mais à 11 heures, lorsque je suis de retour au téléphérique, le ciel se déchire définitivement et le soleil brille à nouveau. Il faut bien ça pour l’Assomption !

C’est très osé de vouloir voyager un jour férié en Italie ! Mais comme le jour suivant, un dimanche, ne serait pas mieux en termes de bus, cela ne change rien au problème Avec trois voitures italiennes et deux allemandes, je parviens à être à PINZOLO à 14h30, au milieu de la belle vallée de la SEDEGATAL, à une centaine de kilomètres de Bolzano. L’office du tourisme est « naturellement » à nouveau fermé, puisque je suis de retour dans la partie italienne et ici, montagnes ou pas, c’est à nouveau —- la gggrrrrr siesta !

Dans le premier hôtel où j’ai demandé une chambre, on s’est moqué de moi en me disant que tout était complet et que je ne trouverais rien. J’ai certes une solution de rechange en tête, à savoir – puisqu’il n’y a pas d’auberge de jeunesse à des kilomètres à la ronde – passer la nuit dans un refuge, car il est relativement facile et rapide d’y accéder en téléphérique.
Mais je continue quand même à essayer de trouver une chambre, car j’ai découvert une affiche avec l’inscription :

Le 15.08. grande exhibition de patinage sur glace au stade !


Je veux absolument voir cela. Au bout d’une heure, ja arrive à trouver une chambre en demandant avec insistance dans toute la ville. Je prends rapidement une douche dans mon « Hôtel Canada », et à 16 heures, j’arrive déjà en téléphérique sur le DOS DEL SABION, à 1600 m d’altitude, devant le panorama époustouflant du groupe Brenta. Une magnifique descente par des chemins d’abord escarpés puis des alpages verdoyants récompense ma ténacité !

Un peu plus tard, je me retrouve à mi-chemin de la vallée, devant une charmante maisonnette en bois, et je vois dans le petit jardin deux enfants qui barbotent dans une piscine gonflable. Ils pourraient s’appeler Heidi et Peter. Mais au lieu du Alp-Öhi , un séduisant jeune Italien passe sa tête par la fenêtre et m’invite à partager un verre de vin, du fromage et du pain avec ses amis et leurs femmes sur la terrasse de leur maison. Et là, je réalise tout à coup ce qui me manquait dans la partie allemande du Tyrol : l’aventure ! Tout y est trop normal à mon goût.
Ce sera une heure très agréable avec ces Italiens et, tout d’un coup, mon italien fonctionne aussi très bien. Je leur raconte mon voyage et les interroge sur la vallée. J’admire cette maison, construite en 1927, pour laquelle les poutres de bois étaient à l’époque acheminées à dos de vache. La vallée était alors bien trop pauvre pour pouvoir acheter des ânes, encore moins des chevaux. Le tourisme et « l’or blanc » du ski ont tout de même considérablement amélioré la vie ici.

L’un des hommes m’emmène ensuite en voiture pour que je puisse prendre une douche et manger avant le spectacle de patinage. Quelle déception ! Il n’y a que des juniors et pas UN seul ne passe le tour de trois minutes sans tomber. Ces mouvements et ces sauts saccadés sont toutefois touchants. Je me souviens qu’à sept ans, je voulais absolument devenir une star du patinage, parce que ma meilleure amie Gabi savait si bien les dessiner. Maintenant, je suis profondément reconnaissante d’avoir miraculeusement évité cette horrible ambiance froide des stades, avec leur musique bruyante et mal enregistrée qui torture mes oreilles.

DERNIER JOUR AU LAGO DI COMO

C’est magnifique ici ! Le soleil, les montagnes et la douceur du lac s’unissent en une harmonie rarement atteinte et prouvent que l’on peut tout cela trouver ensemble, si on le cherche suffisamment longtemps. A savoir, la légèreté argentée des oliviers, l’austérité noire des cyprès, et entre les deux – comme un agréable mariage entre le nord et le sud de l’Europe – des hêtres, des châtaigniers, des tilleuls, des noisetiers – et partout des lauriers en fleurs !

MILAN n’est qu’à une heure et demie de route et je pense que je pourrais rester un bon moment en ce lieu. La promenade en bateau sur le lac a été merveilleuses et des noms aussi célèbres que CADENABBIA ou BELLAGIO seront à jamais dans mon cœur !

La petite baie de PESCALLO me plaît le plus, c’est à seulement vingt minutes à pied du mondain Bellagio. L’auberge de jeunesse de Domaso est située directement au bord du lac, loin de la route et, pourrait-on penser, au calme. Mais pas du tout ! Au rez-de-chaussée, il y a un restaurant ouvert jusqu’à minuit pour les gens des campings environnants, c’est-à-dire des Allemands et des Hollandais, ainsi que pour des Italiens âgés d’une maison de repos voisine, qui jouent aux cartes ici de trois heures de l’après-midi jusqu’au couvre-feu.
Le premier étage, où se trouvent les deux dortoirs séparés par des toilettes et des douches, est presque entièrement occupé par un groupe de Suisses allemands. Pendant la journée, ils pratiquent la planche à voile et le soir, ils testent des versets bibliques pour voir s’ils sont adaptés à la vie actuelle. Ce qui ne les empêche pas de claquer les portes sans ménagement et de réveiller la maison à 7 heures du matin avec de la musique country. Je crois que je vais leur proposer pour ce soir le vers : « Aime ta prochaine comme toi-même ! « 

Hier soir, j’ai pu prendre mon dernier dîner italien en terrasse, au bord du lac. Je me souviendrai avec plaisir de la partie de cartes amusante avec Bello, Guiseppe et Carlo, qui m’a fortement rappelé des parties similaires de mon enfance, tant la tricherie y était intense ! Chacun essayait de faire savoir à son partenaire de toutes les manières possibles quelles cartes il avait – et dans l’ensemble, on riait plus qu’on ne comptait les points. Bien sûr, cela fait du bien à mon vocabulaire italien d’avoir appris des expressions aussi pertinentes que « atout, piquer, laisser tomber » et quelques jurons bien sentis…:-)

Et maintenant, c’est le dernier jour. Je suis arrivée à la dernière page de mon cahier bleu italien et à la fin de mon voyage. Tous les livres ont été lus, toutes les cassettes écoutées, toutes les nouvelles chansons apprises. Je peux rentrer chez moi.

ARRIVEDERCI Italia – je reviendrai à coup sûr CON PIACERE !

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