Quelle frayeur ! Lorsque je récupère ma valise à l’aéroport, elle est démolie et une partie de la fermeture éclair est ouverte ! Grâce à mes petits anges gardiens qui viennent d’arriver pour Noël, l’ami Jean-Luc et moi sommes certes obligés de découper la valise avec son couteau suisse, mais rien ne manque : ni le cadeau pour Mi – nous fêtons ici son anniversaire – ni le champagne pour la Saint-Sylvestre et le Nouvel An, ni surtout mon appareil photo ! Je suis évidemment en colère, car les » conditions » dans un tel cas sont si ouvertement conçues pour les compagnies aériennes et non pour les clients que je peux imaginer que je ne récupérerai pas un centime. Adieu, ma belle valise à fleurs de Berlin, que personne d’autre que moi n’avait !
Mais cela ne doit pas me gâcher ces quelques jours ici ! Je m’installe rapidement dans l’appartement de Jonas, le fils de Jean-Luc. Mireille arrive de Paris avec seulement une demi-heure de retard et nous commençons par déboucher une bouteille de Grüner Veltliner avant de commencer à faire des projets. En effet, lorsque nous sommes venus ici à vélo en 1993 (voir là), nous avions peu visité.
LA HOFBURG

Bien sûr, la Hofburg est la première attraction au programme. Par « chance », je viens de regarder pour la cinquantième fois(environ…) les trois films « Sissi » avec ma mère à Falshöft, et je vais donc maintenant voir comment la vraie Élisabeth a vraiment vécu. Ce sera un après-midi très passionnant, car nous commençons d’abord par la salle du trésor et apprenons, grâce à notre guide, à quel point ce « Versailles autrichien » est immense : 2600 pièces dans lesquelles vivent et travaillent encore aujourd’hui plus de 5000 personnes, puisque certains des ministères et la chancellerie y sont installés.


Les « trésors » ici sont tout ce qui a été utilisé comme vaisselle, verres, argenterie, casseroles, vases et même comme garniture de salle de bain, et ce depuis des temps immémoriaux. Bien sûr, uniquement le meilleur.
C’est en partie magnifique, mais après deux heures, nous sommes épuisées et devons d’urgence reprendre des forces au Hofburg Café avec un strudel au fromage blanc et une sauce à la vanille chaude. Une pure merveille ! Je laisse tomber toutes mes bonnes résolutions – la semaine prochaine, il sera encore temps de commencer un régime : Ceci est trop bon.
ELISABETH et FRANCOIS-JOSEPH
Ensuite, nous arrivons dans les appartements de Leurs Majestés et je dois dire que la vraie « Sisi » (ici, dans la langue hongroise, elle s’écrit partout avec un « s ») et Romy avaient beaucoup en commun : leur beauté, leur caractère et leur mélancolie. Madame était brossée et coiffée tous les matins pendant TROIS heures. Elle ne pesait que 45 kilos pour 1,70 m et se castrait avec des régimes et des exercices de gymnastique pour maintenir sa taille de 51 cm. Comme elle n’avait rien à faire en se coiffant, elle apprenait en même temps le grec ancien et moderne. Ses poèmes mordants sont, à mon avis, bien meilleurs que ses poèmes « romantiques » et plus d’un courtisan a dû bondir de colère, car sa plume pointue visait et – faisait mouche.

Et quelle horreur que sa mort soit un hasard, car le fanatique italien voulait initialement poignarder le Duc d’Orléans ce matin-là. À la fin de la visite, dans la grande salle à manger, nous apprenons que l’empereur avait l’habitude de donner des dîners — de 45 minutes. Nous pouvons admirer les centres de table en or, les vases et les chandeliers. Ils sont disposés de telle sorte que l’on ne peut pour ainsi dire pas voir son vis-à-vis et que l’on est contraint par l’étiquette de ne s’entretenir qu’avec son voisin direct. En trois quarts d’heure, 15 plats différents étaient servis ! Il fallait donc avaler chaque plat en trois minutes – à condition que Majesté ne pose pas sa fourchette avant…
Ce François-Joseph était un boulimique de travail, il se levait à trois heures et demie du matin, priait, prenait son bain. Il s’habillait pendant une heure, puis gouvernait jusqu’au soir, et puis encore un dîner… Ouah ! Il avait en effet un immense royaume à gérer (chaque citoyen pouvait se présenter chez lui une fois par semaine pour le remercier ou se plaindre – mais pas plus d’une minute) et je n’avais pas réalisé jusqu’à présent que Vienne était la cinquième plus grande ville du monde il y a cent ans !
Songeurs, nous regagnons notre appartement très pratique, situé dans la Josefsstadt, en passant devant le légendaire Burgtheater, où je réserve tout de suite une visite guidée pour demain. L’Hôtel de ville se trouve juste en face, il est encore plus grand que celui de Paris et magnifiquement illuminé.

Dès que l’on sort du centre, en fait très petit, les rues sont carrément vides. Apparemment, la ville est fermement aux mains des touristes italiens et français – les Viennois sont intelligemment partis ailleurs pour les fêtes. Le lendemain matin, nous commençons par nous promener dans notre quartier, dans de petites rues et ruelles où se trouvent encore des magasins et des boutiques originales joliment décorées. Tout a un air un peu désuet, mais ça a son charme. Dans l’église Maria Hilf, Mireille est sidérée qu’on y laisse sans surveillance une crèche si joliment décorée d’étoiles de paille, de boules et de vraies fleurs – apparemment sans avoir peur que tout cela ne disparaisse.


Nous trouvons une nouvelle valise « dorée » pour un prix raisonnable, et après l’avoir déposée chez nous, nous repartons, cette fois-ci en direction de la Wollzeile, où le Café Diglas nous sert une vraie marmite de soupe viennoise, qui est très savoureuse.
Ensuite, nous pouvons mieux résister aux tentations sucrées chez Demel et Julius Meinl. Ce dernier est une épicerie fine très luxueuse et si outrageusement chère qu’elle bat à plate couture le BON MARCHE de Paris et le KADEWE de Berlin ! Mais elle est aussi magnifiquement décorée. Et on y trouve même encore le « Sarotti-Mohr » que j’adorais quand j’étais enfant, mais qui a malheureusement disparu depuis longtemps sous nos latitudes politiquement correctes.



Puis nous traversons le très élégant Kohlmarkt, où la densité des manteaux de vison au mètre carré – par 10 degrés de plus ! – augmente de manière inquiétante.
BURGTHEATER
La visite guidée du Burgtheater est vraiment très intéressante ! En fait, ce bâtiment K. u. K. (Kaiser-und königlich = impérial et royal) n’en est pas un, c’est un bâtiment des années cinquante qui n’a été rendu « ancien » que dans les étages inférieurs, c’est-à-dire qu’il a été reconstruit, décoré et meublé exactement de la même manière que le bâtiment détruit pendant la guerre. Pour nos têtes bin faites et démocratiques, c’est déjà fou que l’empereur ait eu sa propre cage d’escalier, la Kaiserstiege, alors que les plus de 1000 citoyens ordinaires devaient se partager la deuxième entrée…

Ce que je trouve incroyable, c’est que jusqu’en 1983 (imaginez un peu !), aucun des acteurs du Burgtheater n’avait le droit de s’incliner après la représentation. Le public ne pouvait applaudir que l’empereur, pas les acteurs ! Le fait qu’en 1983 il n’existait plus depuis longtemps n’avait apparemment pas d’importance… ! Ce n’est que grâce aux metteurs en scène célèbres étrangers que cette bêtise a été abolie.
DECEPTION
Après une petite sieste, nous repartons en fin de journée pour réaliser un rêve de petite fille : Nous voulons aller voir « Hänsel et Gretel » de Humperdinck à la Volksoper (tout était déjà complet à la Staatsoper en raison des fêtes). Première petite déception : il s’agit également d’un bâtiment des années 50, plutôt sobre. Mais on est mieux assis que dans les théâtres parisiens, où l’on n’a jamais assez de place pour les jambes. A six heures tapantes, l’ouverture commence et j’ai immédiatement huit ans de nouveau et je chante les chansons au piano avec ma grand-mère…..
Ciel, qu’est-ce que c’est que ça ? Déjà le premier duo « Suse, chère Suse » est quasiment inaudible (et nous sommes au quinzième rang !). La femme qui joue Hänsel n’a pas de voix du tout, la Gretel n’articule pas, le décor et la mise en scène sont une catastrophe. J’ose à peine regarder Mi, qui comprend évidemment encore moins le texte que moi. Le pire se produit justement dans ma chanson préférée » Le soir, je veux aller dormir « , où les 14 angelots se promènent dans les escaliers dans des petites robettes dorées. C’est du théâtre de pacotille, c’est nul et nous partons indignées ! Toutefois, j’échange auparavant avec deux vieilles dames viennoises qui pestent comme des chiffonnières contre le nouveau directeur qui, depuis septembre et grâce à des intrigues, est à la tête du Volksoper. Je n’ai donc pas de problème auditif!Cela me sera confirmé une demi-heure plus tard par Renate et Jean-Luc, qui nous régalent d’un magnifique repas dans leur appartement. Le frère et la sœur de Renate sont présents et tous deux ont également quitté le Volksoper à l’entracte de « Carmen » en pestant.
Je sors vite fait une feuille et un stylo de mon sac à main, car les propositions de restaurant pour le repas de la Saint-Sylvestre pleuvent :
Pas l’escalope du Figlmüller, bien trop grasse !
Allez plutôt chez Plachutta: le meilleur Tafelspitz de Vienne.
Oui, mais on dessert dès que vous avez fini de manger, le Ofenloch…. est bien plus chaleureux.
KLIMT et HOFFMANN
Notre culture est aussi prise en charge et je note tout ce qui est dit. Demain, nous verrons ce que nous ferons de ces conseils. La priorité est donnée à Gustav Klimt. Nous ne souhaitons pas visiter toute la collection de tableaux « dorés » du Belvédère supérieur, mais plutôt la petite mais belle exposition « Klimt/Hoffmann » du Belvédère inférieur. Celle-ci est d’abord déconcertante, car il faut la parcourir entièrement pour être confronté à la fin aux dates clés de la vie des deux artistes. Jusqu’à aujourd’hui, je ne connaissais pas l’architecte Josef Hoffmann. Il était un élève d’Otto Wagner et, avec Gustav Klimt et d’autres artistes de la « Sécession » viennoise, ils ont « réveillé Vienne » dans les premières années du vingtième siècle.. Les Viennois appellent d’ailleurs ce bâtiment leur « chou doré ».

Le fait est que je n’avais jamais de ma vie été autorisée à détacher une feuille d’un mur dans un musée, mais qu’ici je suis invitée à le faire – car les explications sont écrites au dos. C’est très bien fait, tout est intéressant et BEAU – mais malheureusement, il est strictement interdit de prendre des photos ici.
Les plus belles choses de cette exposition sont pour nous le tableau « Femme en robe noire » de Klimt et la reproduction de l’entrée de la « maison Stoclet » construite par Hoffmann à Bruxelles. Nous avons le droit de nous installer dans un canapé délicieusement confortable pour admirer les incrustations de marbre du sol et la reproduction de la frise de la villa de Klimt.
Très satisfaites, nous prenons un bus pour nous rendre à l’opéra et au Sacher. Oh là là, le sympathique chauffeur n’a plus de billets !
Qu’à cela ne tienne,
venez quand-même, Mesdames !
N’est-ce pas charmant ? Cela n’arriverait jamais à Paris ! Chez Sacher, nous devons faire la queue pendant 20 minutes, mais le gâteau et le chocolat chaud avec crème fouettée en valent cent fois la peine. Heureusement que nous ne sommes là que pour cinq jours, cette ville est ruineuse pour notre ligne…
PROMENADES
Plus tard, nous flânons dans la Kärtnerstraβe, regardons la maison Swarowski qui brille comme cent mille diamants et achetons des cuillères pour nos œufs à la coque de belle forme. Ensuite, nous passons par la cave de jazz « Porgy & Bess », pour voir si elle me conviendrait pour me produire. Dans cette ville, on fume encore et chez DEMEL, il y a même un fumoir !). Finalement, le soir nous nous contentons de faire un bon petit repas dans le charmant appartement de Jonas et de passer en revue la journée.
Le lendemain matin, nous partons de bon cœur à la recherche du restaurant pour notre repas de réveillon. Tous les conseils de nos chers amis sont explorés, mais qu’il s’agisse du « Ratskeller » ou du « Sette cielo », ils sont tous complets, et ce malgré des prix élevés (145 euros sans le vin, c’est la norme).
Aujourd’hui, le temps est radieux, mais un vent glacial nous oblige à écourter un peu notre promenade sur les rives du canal du Danube – où se dressent les bâtiments ultramodernes de Jean Nouvel et d’autres architectes stars.

Nous nous réfugions dans la Caisse d’Epargne Postale construite par Otto Wagner. Ce bâtiment nous fascine.


Sa devise est « Quelque chose de peu pratique ne peut jamais être beau. »
et elle est représentée ici de manière parfaite. Nous passons une heure agréable dans le petit musée qui se trouve derrière la « grande salle des caisses ».
CAFE HAWELKA
L’après-midi, nous rencontrons Bernhard, l’assistant de Mireille, au célèbre Café Hawelka, dont le propriétaire vient de décéder. En seulement cinq minutes d’attente, il parvient tout de même à obtenir une table de six pour ses amis et nous. C’est un exploit, car ce café est beaucoup plus petit que je ne l’avais imaginé.

C’est un véritable antre noir dans lequel on pourrait très bien passer l’hiver! Nous prenons un chocolat chaud au rhum (mmmh !) et demandons conseil à Bernhard pour un restaurant. Il nous suggère de quitter le centre – et c’est là que le déclic se produit en moi. Jonas (qui fête le Nouvel An avec sa femme dans mon appartement à Paris) nous a en effet donné un plan Google avec des conseils de bons restaurants bon marché à proximité de son appartement. Entre autres, un asiatique qui s’appelle GU et qui est censé être très bon. Peut-être que ça va marcher.
SAINT SYLVESTRE
Le matin du réveillon, le soleil brille dans le ciel et il fait nettement plus beau qu’hier. Nous marchons donc d’abord jusqu’au GU, un minuscule restaurant avec d’excellentes critiques sur la porte et un numéro de téléphone. Heureusement, car les horaires d’ouverture sont un peu étranges. Nous verrons cela plus tard, pour l’instant nous allons au Naschmarkt.

C’est LE grand marché de Vienne. Pendant que nous dégustons un vin chaud au soleil, nous discutons avec un couple qui attire notre attention sur les magnifiques maisons situées juste à côté (toujours signées Otto Wagner).

LA MAISON DE LA MUSIQUE
A midi, nous sommes affamés devant la Haus der Musik et attendons l’entrée, qui est gratuite aujourd’hui – mais seulement à partir de 14 heures. C’est alors que Mi a la brillante idée de prendre l’ascenseur jusqu’au 6e étage, où se trouve un restaurant sur le toit avec une vue magnifique sur les toits de Vienne. C’est précisément là que nous reprenons des forces avec ce que je considère comme la meilleure soupe à l’oignon de ma vie !

Nous en avons bien besoin, car les deux heures suivantes sont remplies à craquer par la découverte de ce musée très original et attrayant. Armées chacune d’un gros dé, nous apprenons à composer « notre » valse, dont la partition sera imprimée et signée tout spécialement pour nous. C’est le petit « plus » charmant. Pour le reste, un étage entier est rempli de toutes sortes de jeux interactifs, concernant les oreilles et les sons. Cerise sur le gâteau: la très intéressante exposition sur Joseph Haydn, dont je ne savais pas qu’il n’était pas seulement un compositeur de talent, mais aussi un homme d’affaires avisé !
LE REVEILLON
Nous flânons ensuite dans les rues adjacentes jusqu’à la cathédrale et y rencontrons de nombreux Viennois très bien habillés : le queue-de-pie n’est ici pas une exception un tel soir. Ils se précipitent déjà – avec bouteilles et fleurs – vers une quelconque fête.

Je danse une petite valse sur la place de la cathédrale, où un très bon animateur enseigne les bases aux débutants – et où quelques professionnels de la danse nous montrent avec brio à quel point cette danse est merveilleuse. La place est pleine à craquer, mais tout le monde sourit et est d’une bonne humeur contagieuse ! La vieille cathédrale se reflète dans la maison moderne de Haas, c’est un beau contraste.

Nous rentrons à pied. Les kilomètres que nous parcourons ici à pied – quatre à cinq heures chaque jour, tout de même ! – sont certainement bénéfiques pour notre corps gorgé de strudel. Après avoir obtenu notre réservation chez GU, nous faisons une petite sieste de quelques heures.
Pour commencer la soirée de la Saint-Sylvestre, nous restons enchantées pendant une heure devant le Staatsoper, où la « Chauve-souris » est retransmise en direct. Des voix et des costumes magnifiques et une très bonne mise en scène. Nous nous rendons avec entrain au restaurant, où nous attend un délicieux repas, qui plus est à un prix ridiculement bas. Je n’oublierai jamais l’arbre « peint » avec du soja dans nos assiettes !

Pas plus que le feu d’artifice éblouissant que nous avons le plaisir d’apprécier un peu plus tard. Alors que nous nous promenons pour rentrer chez nous, nous croisons une jeune femme euphorique qui nous acclame :
Bonne année –
je vais me marier dans quelques semaines!
VIVE 2012 !
